Entretien exclusif de Marc-André Poirier, DG d'Indosuez en Suisse, avec L'Agefi
‘’En Suisse, Indosuez a déjoué les turbulences financières’’
Découvrez l'entretien complet de Marc-André Poirier avec l'Agefi paru le vendredi 5 mai 2023 ou lire sur le site de L'Agefi.
Marc-André Poirier : « Le négoce de matières premières a été le moteur du bond de notre bénéfice en 2022. »
Le nouveau CEO d’Indosuez Wealth Management en Suisse, qui a pris ses fonctions en décembre dernier, dresse un bilan positif des résultats 2022 de la banque et se dit optimiste pour l’année 2023. Entretien.
Implantée à Genève depuis plus de 145 ans, Indosuez Wealth Management Switzerland compte plus de 900 collaborateurs dont 570 en Suisse.
Adossée au groupe français Crédit Agricole, la banque privée Indosuez Wealth Management a géré près de 130 milliards d’actifs sous gestion en 2022. Implantée à Genève depuis plus de 145 ans, la filiale helvétique compte plus de 900 collaborateurs dont 570 en Suisse. Le reste est réparti dans ses trois succursales à Dubaï, Hong Kong et Singapour. Indosuez WM Suisse s’active dans deux grands domaines d’activité : la gestion de fortune, gérée par la banque privée et le financement du négoce de matières premières, piloté par sa division de banque commerciale d’investissement. Azqore qui gère les services informatiques de la banque privée depuis Lausanne est désormais une entité distincte, rattachée directement au groupe Indosuez, lui-même adossé au 10ème groupe bancaire au monde.
Malgré la chute des marchés actions et obligataires l’an dernier, Indosuez Wealth Management en Suisse s’est distinguée par une progression de 50% de son résultat net, à 60 millions de francs, comme le souligne le rapport d’activité de la banque pour l’année 2022. Contrairement à de nombreux établissements de la place, ses avoirs sous gestion ont peu baissé. En poste depuis le 1er décembre dernier, son nouveau CEO Marc-André Poirier détaille la stratégie de l’établissement dans sa première interview à un média.
De la banque d’affaires à la banque privée
Cinq mois après votre arrivée à la direction générale d’Indosuez Wealth Management en Suisse, à Genève, quelles sont vos premières impressions ?
J’ai effectué l’ensemble de ma carrière à l’international, entre l’Asie et les Etats-Unis, avant d’arriver à Genève en décembre dernier pour développer Indosuez Wealth Management. Ma première impression est très bonne.
Genève est une place financière très importante, similaire à une place comme New York finalement. En ce sens que la ville capte énormément de transactions de toute la Suisse, comme de l’international. Elle dispose de nombreux atouts. D’abord, c’est le centre mondial pour le négoce des matières premières, qui comprend tout un écosystème de traders, de transporteurs, d’avocats, d’assureurs et bien sûr de banques. Notre banque de financement et d’investissement fait partie de ces acteurs. Et pour la partie gestion de fortune, Genève a aussi des compétences propres avec deux sujets très importants sur lesquels je me suis déjà engagé depuis ces cinq mois : la compétitivité de la place avec la Fondation Genève place financière et la promotion de la finance durable.
Comment comptez-vous vous distinguer de votre prédécesseur, Jean-François Deroche, qui est parti à Hong Kong, pour devenir Senior Regional Officer de Crédit Agricole CIB pour la région Asie ?
En fait, on se connaît très bien avec Jean-François Deroche. Quand il est arrivé à Genève, j’ai quitté l’Asie pour lui succéder à New York, et maintenant il reprend le poste que j’avais à Hong Kong en 2011. Mais on garde la même trame de travail et je vais assez peu en dévier. Nous étions depuis quelques années dans un mouvement de recentrage de notre organisation et nous sommes maintenant dans une dynamique de développement et d’acquisition de talents.
Donc quand vous parlez d’acquisition, il ne s’agit pas de racheter d’autres établissements, comme Arab Bank vient de le faire avec la banque Gonet ?
Indosuez entend poursuivre sa croissance organique en s’inscrivant dans une logique de construction dans la durée. Nous recrutons de nouveaux talents, en Suisse, à qui nous pourrons offrir une carrière dans le groupe.
Vous passez de la banque d’investissement que vous connaissez bien, à la gestion de fortune qui est un domaine nouveau pour vous. Comment allez-vous relever ce défi professionnel ?
Je rencontre des clients tous les jours, c’est la clé. Le métier de gestionnaire de fortune est un métier de service, donc il doit être incarné. Nos clients sont soit des entrepreneurs qui ont fait fortune, soit des familles fortunées depuis plusieurs générations. S’agissant des entrepreneurs, mon expérience dans la banque d’investissement est un avantage. Car je comprends leur état d’esprit et leur façon de travailler. Par ailleurs, le fait d’avoir travaillé à l’international me permet aussi de mieux comprendre ces clients, qui sont nombreux à venir de l’étranger et notamment de l’Asie. Donc je ne suis pas un spécialiste de la banque privé, certes, mais j’ai d’autres compétences qui me permettent de me différencier.
Un recentrage stratégique qui paie
Indosuez Wealth Management en Suisse vient de publier son rapport annuel 2022 et vous affichez de très bons résultats : votre bénéfice net a bondi de 28 millions à 60 millions de francs et vos actifs administrés n’ont baissé que légèrement, passant de 40 à 37 milliards de francs. Comment vous expliquez cette très bonne performance dans un environnement de marché difficile ?
C’est le travail de recentrage de notre modèle d’affaires, effectué par mon prédécesseur, qui nous a permis de faire ce bond significatif. Mon objectif, c’est évidemment de continuer ce travail.
Vous évoquez une « année record » pour votre division ITB, supérieure à vos attentes. C’est le financement du négoce de matières premières qui a porté ces bons résultats, à l’image des bénéfices exceptionnels enregistrés par les grands acteurs du secteur comme Glencore ?
Oui, le négoce de matières premières a clairement été le moteur de ce rebond. C’est très mécanique. Si vous voulez avoir du vent dans les voiles, il faut que le bateau soit bien positionné, et le vaisseau Indosuez est très bien positionné aujourd’hui.
« Le vaisseau Indosuez est très bien positionné aujourd’hui »
Par ailleurs, il faut aussi souligner que notre division Wealth Management se porte bien. La banque privée a donc elle aussi contribué à ces résultats. Maintenant, notre défi sera de maintenir la trajectoire chez ITB et d’amplifier le développement de notre activité de gestion de fortune.
Justement quel est votre positionnement par rapport aux grandes banques privées suisses? Notamment par rapport à la banque Mirabaud de taille similaire avec ses 31,5 milliards de francs sous gestion ou Lombard Odier (192 milliards dans la banque privée), si l’on prend tout le groupe Indosuez (130 milliards d’euros) ?
Notre principale différence avec les établissements traditionnels de la place financière genevoise, c’est notre appartenance au groupe Crédit Agricole. Ce qui veut dire que nous sommes des deux côtés de l’équation. Adossée à un groupe comme le CA, la puissance de son bilan nous permet de prêter à nos clients dans un contexte de hausse des taux et de liquidité plus contraint.
Indosuez vise une clientèle ultra-riche (UHNWI) : cela veut dire à partir de 10 millions ?
Oui.
Sur quels marchés se situent vos clients ?
Ils sont un peu partout dans le monde. Donc ils résident en Suisse, mais pas seulement. Nous avons une clientèle internationale importante notamment en Asie, une région que je connais bien puisque j’y ai passé 22 ans. Et une part aussi importante au Moyen-Orient, où Indosuez est présente depuis 50 ans. Une petite partie se trouve en Amérique latine.
Vous avez fait une très bonne année, néanmoins vos effectifs ont un peu réduit, passant de 930 à 906 personnes. Pourquoi ?
Effectivement, nous avons eu quelques départs l’année dernière. Aujourd’hui, les grandes banques doivent renforcer leur attractivité, notamment auprès des jeunes. Cela passe par un projet d’entreprise et des opportunités de carrière. Nous allons recruter cette année, car l’environnement est favorable.
Mirabaud a annoncé passer au cloud, chez Microsoft. Comment vos services informatiques sont-ils organisés? Quid de la protection des données ?
Certains systèmes internes à la banque qui ne comportent pas de données sensibles sont déjà opérés sur le cloud. Par ailleurs, nous investissons beaucoup de temps et de ressources dans la cybersécurité. Souvent les gens pensent que la cybersécurité, c’est une affaire de geek, mais c’est une vraie question de gouvernance et de culture. Et c’est un sujet majeur parce que la menace est réelle car il évolue en permanence. Depuis mon arrivée, je m’efforce de sensibiliser l’ensemble de nos collaborateurs sur cette question.
UBS et la concurrence sur le marché bancaire
La chute de Crédit Suisse et sa reprise par UBS en moins d’une semaine se sont traduites par l’arrivée de nouveaux clients pour de nombreux établissements bancaires. Est-ce aussi le cas pour Indosuez en Suisse ?
D’abord, je tiens à saluer la réactivité des autorités suisses. Elles ont effectué un travail incroyable pour préserver l’environnement suisse, en très peu de temps : chapeau bas.
Maintenant, nous avons effectivement des clients qui sont venus nous voir, soit pour transférer leurs actifs, soit pour diversifier leur patrimoine.
Avez-vous vu arriver de nouvelles personnes pour renforcer vos équipes ?
Non, pas encore.
En termes de concurrence, ce nouveau géant bancaire suisse risque-t-il de vous poser des problèmes en Suisse et à l’international ?
Avoir un acteur majeur bancaire solide en Suisse peut être une bonne chose. La Suisse a déjà beaucoup d’acteurs mondiaux dans différentes industries et cela ne pose pas de problèmes, au contraire. C’est un peu son ADN. Nous avons déjà beaucoup de banques très fortes dans le pays, je pense notamment aux banques cantonales. C’est une place où la concurrence existe.
« Avoir un acteur majeur bancaire solide en Suisse peut être une bonne chose »
Par contre, la nouvelle organisation aura de l’expertise et des compétences sur de nombreux sujets et notamment sur la gestion de fortune et la gestion d’actifs. Au niveau de la banque d’investissement, l’avenir nous le dira. Mais j’ai une totale confiance dans le nouveau CEO, Sergio Ermotti : c’est lui qui a redressé la banque en 2008, donc il sait faire.
L’année 2022 a été marquée par le retour de l’inflation et plusieurs hausses de taux successives : êtes-vous inquiet pour l’année 2023 ?
Non, je suis une personne optimiste. Nous ne reprendrons peut-être pas le contrôle de l’inflation immédiatement, mais il faut prendre un peu de recul. L’inflation est la conséquence logique des injections massives de capitaux des autorités liées à la crise sanitaire. Et les taux négatifs, était-ce vraiment une bonne chose pour les économies ? Non ! Maintenant nous en sommes sortis et tout va bien. Donc si la paix revient en Europe, je suis confiant que les choses vont rentrer dans l’ordre.
05 mai 2023