La durabilité appliquée aux risques de change

Article de Hugo de Vasconcelos, Senior Forex Advisor chez Indosuez en Suisse, pour le média Le Temps.

12 octobre 2021

Hugo de Vasconcelos | Indosuez

Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) prennent de plus en plus d’importance dans les décisions d’investissement. Cela n’est toutefois pas forcément le cas pour le marché des changes. En effet, qui pense à la diversité sociale ou à la gestion des déchets en considérant son allocation de devises?

Les investisseurs ont pris l’habitude de sélec­tionner des obligations ou des actions en s’appuyant sur les critères de durabilité des socié­tés émettrices. Bien que les devises ne soient pas des titres, la même logique s’applique pour examiner le score ESG des Etats émetteurs de devises. Heureusement, une telle analyse des pays est facilement accessible, et les investis­seurs peuvent ainsi évaluer les devises à la lumière de ce filtre.
Dans un premier temps, nous avons évalué dans quelle mesure le filtrage ESG appliqué aux devises pouvait offrir les mêmes avantages que pour les obligations et les actions en termes d’impact non financier (satisfaction d’investir dans une devise responsable et durable), mais également en termes de risques et d’opportunités qui auraient échappé à une analyse financière classique.

 

Impacts non financiers

Le filtrage ESG n’étant pas encore très répandu sur le marché des changes, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses quant à l’impact de son adoption sur les décisions des acteurs politiques. En matière d’incitations financières, les investisseurs qui décident de leur allocation en termes de devises observent deux facteurs d’influence: le prix des devises et son coût de financement. L’achat d’une devise renforce intrinsèquement son cours au comp­tant, tandis que l’investissement dans cette devise réduit le coût général du financement dans cette devise en créant davantage de liqui­dités pour les emprunteurs.
Dans le même temps, les gouvernements et les banques centrales cherchent généralement à stabiliser les taux de change et les coûts de financement de leurs économies. On peut donc affirmer que les choix d’exposition de change en fonction des critères ESG pourraient consti­tuer une motivation financière pour les gouvernements à agir de manière plus vertueuse et profiter de financements moins chers et d’une monnaie plus forte. Certes, le filtrage ESG des devises ne saurait, à lui seul, modifier la poli­tique gouvernementale, mais le lien entre les allocations de devises des investisseurs et leurs coûts mérite d’être pris en considération.

 

Risques et points forts

L’avantage de l’analyse ESG dans le domaine des devises est évident, en particulier si l’on considère les facteurs sociaux et de gouvernance. En effet, le niveau de qualité des critères ESG est fortement (et négativement) corrélé au risque de la devise. Les économies souffrant d’une gouvernance et de politiques sociales médiocres ont tendance à présenter un risque plus élevé de volatilité de leur monnaie.
A titre d’exemple, la gouvernance de la banque centrale de Turquie a entraîné un changement abrupt de gouverneur en mars 2021 et un effondrement de 20% de la livre turque – risque que les investisseurs effectuant un filtrage ESG auraient évité. A l’inverse, les politiques sociales importantes et la bonne gouvernance de la Suisse, qui constituent un facteur majeur de la stabilité à long terme de son économie, permettent d’expliquer que le franc suisse soit considéré comme une mon­naie refuge très forte avec des coûts de finan­cement très bas.

 

Scores ESG et performance financière 

Nous avons classé 30 pays en fonction des notations internes ESG, et calculé la perfor­mance de change de leurs devises sur 20 ans par rapport au dollar américain (USD). Il en résulte une corrélation significative entre le score ESG et la performance d’une monnaie.
Presque toutes les monnaies ayant un meil­leur score que les Etats-Unis ont surperformé le dollar américain sur 20 ans, et la plu­part des monnaies ayant un moins bon score ont sous-performé le dollar (les exceptions notables étant le yuan chinois, le baht thaï­landais, le dirham marocain et les monnaies du Moyen-Orient qui sont arrimées au cours du dollar américain).
Si, à première vue, les devises et l’ESG semblent être des éléments très éloignés l’un de l’autre, nous sommes convaincus, à la lec­ture de ces résultats, que le filtrage ESG peut améliorer de manière significative l’allocation aux devises à long terme dans le portefeuille d’un investisseur et contribuer un peu plus à apporter des changements positifs et durables dans le monde.

 

Paru dans Le Temps - 27/09/2021

12 octobre 2021

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